Il existe dans toutes les cultures un symbole récurrent : l'axe du monde.
L'arbre cosmique qui relie la terre au ciel. L'échelle de Jacob sur laquelle montent et descendent les anges. Le mont Meru des hindous, montagne sacrée autour de laquelle tournent les constellations. La colonne du temple, le mât totémique, le pilier central de la tente mongole.
Cet axe vertical n'est pas qu'une image. C'est un archétype, une structure psychique universelle qui exprime la nécessité humaine d'unir les opposés : le bas et le haut, la matière et l'esprit, l'inconscient et le conscient.
Jung appelait cela l'axis mundi : l'axe autour duquel s'organise la totalité de l'expérience. Le centre stable au milieu du chaos. Le fil qui traverse tous les niveaux de réalité.
Or, cet axe a une incarnation anatomique : la colonne vertébrale.
Non pas seulement la colonne telle que la montre l'atlas médical, un empilement rigide de vertèbres numérotées, mais la colonne vécue, sentie, celle qui porte notre verticalité, qui nous différencie de l'animal, qui fait de nous des êtres debout.
Les textes du yoga le disent clairement. Dans les Yoga Upanishads, la colonne est appelée meru-danda, le "bâton du mont Meru". Elle est l'axe cosmique miniaturisé dans le corps humain. Ce qui se joue dans l'univers se joue dans la colonne. Ce qui monte vers les étoiles monte le long de l'échine.
Cette homologie entre cosmos et corps n'est pas poétique. Elle est structurelle. La colonne relie les niveaux : du sacrum (la base, la terre, l'inconscient archaïque) au crâne (le sommet, le ciel, la conscience claire). Entre les deux, tous les étages de l'être humain.
Sentir sa colonne, c'est donc bien plus qu'une sensation physique. C'est sentir l'axe autour duquel tout s'organise. C'est toucher la structure même de l'individuation, ce processus par lequel, selon Jung, nous devenons qui nous sommes vraiment, en intégrant les opposés qui nous habitent.
Jung écrivait dans Psychologie et Religion :
« Le Soi est non seulement le centre, mais aussi la circonférence qui embrasse à la fois le conscient et l'inconscient ; il est le centre de cette totalité, comme l'ego est le centre de la conscience. »
La colonne vertébrale est l'incarnation de ce Soi : elle est à la fois le centre (l'axe stable) et la totalité (elle traverse tous les niveaux, du plus bas au plus haut).
Sentir l'axe
Mais comment sentir sa colonne autrement que comme une structure mécanique ?
La plupart des gens ne perçoivent leur colonne que lorsqu'elle fait mal. Le dos se rappelle à nous par la douleur, par la raideur, par le blocage. Hors de la souffrance, la colonne reste abstraite.
Revenir à la colonne, c'est apprendre à la sentir vivante. Non pas comme un axe rigide, mais comme un courant. Les yogis parlent de sushumna nadi, le canal central qui traverse la moelle épinière, par lequel circule l'énergie subtile.
Ce canal n'est pas anatomique au sens médical. Il n'apparaît pas sur les IRM. Mais il est expérientiel. Quand on respire profondément, quand on médite, quand on pratique certaines postures, on peut sentir une onde qui monte ou descend le long de la colonne. Une sensation de chaleur, de vibration, de flux.
Les traditions orientales nomment ce flux kundalini, l'énergie enroulée à la base de la colonne qui, lorsqu'elle s'éveille, remonte le long de l'axe en traversant des centres de conscience. Jung a consacré un séminaire entier à ce thème en 1932, publié sous le titre Psychologie du yoga de la Kundalinî.